Auteurs : Melanie Bodnar M.D., FRCPC; Marc Bienz M.D., FRCPC, Gwen Clarke M.D., FRCPC
Principal public cible : technologistes médicaux travaillant dans un laboratoire d’hôpital, professionnels de la médecine transfusionnelle
La transfusion de plaquettes ou de plasma ABO incompatibles peut entraîner un transfert passif d’iso-hémagglutinines (anticorps à des antigènes A et B sur les globules rouges) chez le receveur. Ces iso-hémagglutinines peuvent causer une hémolyse chez le receveur exprimant des antigènes ABO correspondants. Il est possible de limiter le risque d’hémolyse liée à des transfusions de plaquettes ou de plasma avec incompatibilité ABO en sélectionnant des unités pour lesquelles on a déterminé des niveaux inférieurs d’iso-hémagglutinines.
En novembre 2022, la Société canadienne du sang a commencé à effectuer un test automatisé des titres d’iso-hémagglutinines (anti-A1 et anti-B) sur tous les donneurs de sang total et de sang par aphérèse. Ce test permettra d’étiqueter les composants sanguins suivants comme porteurs de faibles titres : concentrés de plaquettes mélangées et d’aphérèse et plasma du groupe A transfusable. La mise en œuvre de ce test de détection des titres élevés chez les donneurs et l’étiquetage des composants à faible titre contribueront à une meilleure gestion des stocks tout en limitant le risque de réactions transfusionnelles hémolytiques immédiates (RHI) en cas de transfusion plaquettaire et plasmatique ABO incompatible.
Tous les donneurs de sang total et de sang par aphérèse subiront un test automatisé de détection d’iso-hémagglutinines anti-A1 et anti-B sur l’analyseur Beckman Coulter PK lors de chaque don. Le plasma des donneurs dilué par le système PK sera testé contre les cellules A1 et B dans des puits séparés en même temps que l’on réalisera le groupage ABO et le typage Rh de routine sur chaque don. Si les deux tests ciblant les cellules A1 et B sont négatifs conformément aux seuils prédéfinis pour des titres élevés, le donneur sera alors considéré comme étant à faible titre. Contrairement aux tests effectués en milieu hospitalier, le test de détection des titres élevés d’iso-hémagglutinines sera effectué sur le donneur et NON sur le composant final.
Le seuil de 1:32 utilisé sur l’analyseur PK est globalement équivalent à une dilution d’environ 1:128 avec un test manuel par centrifugation immédiate à température ambiante. Un résultat positif sur l’analyseur PK impliquerait un titre supérieur ou égal à 1:128 dans le cadre d’un test manuel. Pour être considéré à faible titre, le test du plasma du donneur contre les cellules A1 et B doit être négatif à cette dilution. Tous les donneurs contribuant à un mélange plaquettaire doivent avoir un résultat négatif sur l’analyseur PK afin que le composant puisse être étiqueté « Low Anti-A/B » (anti-A/B faible). Les dons dont le test montre des titres élevés ne seront pas exclus d’une utilisation pour la transfusion, mais les composants fabriqués à partir de ces dons ne seront pas étiquetés comme étant à faible titre.
Les réactions transfusionnelles hémolytiques immédiates du fait du transfert passif d’anticorps ciblant des globules rouges des groupes A et B dans le cadre de transfusions de plaquettes ABO incompatibles sont rares. Bien qu’il n’y ait pas de consensus universel sur la méthode de test ou la valeur seuil à appliquer, le seuil de 1:128 avec le test manuel a été choisi sur la base des expériences accumulées par d’autres fournisseurs de sang et des données d’hémovigilance recueillies, ce qui semble attester de son caractère sûr.
Des méthodes automatisées utilisant un seuil équivalent à 1:128 par centrifugation immédiate ont été adoptées par d’autres fournisseurs de sang, dont le service du sang de la Croix-Rouge australienne et le National Health Service Blood and Transplant (NHSBT) au Royaume-Uni.1-3 Même si une évaluation formelle est délicate, la mise en œuvre du test de détection des titres élevés des donneurs dans ces pays semble avoir réduit le risque d’événements indésirables hémolytiques majeurs. La plupart des RHI signalées aux systèmes de surveillance sont survenues à des titres supérieurs au seuil défini.
Le seuil optimal doit tenir compte de deux aspects à équilibrer : (1) l’obligation de sécurité liée à l’identification de donneurs présentant les titres d’iso-hémagglutinines les plus élevés et (2) l’obligation de garantir qu’une proportion raisonnable de composants étiquetés à faible titre soient disponibles afin d’améliorer les stratégies de gestion des stocks.
De nombreux centres hospitaliers effectuent le test manuel par centrifugation immédiate sur le composant final en utilisant un seuil inférieur (p. ex. 1:50). En règle générale, le test par centrifugation immédiate détecte uniquement les anticorps IgM. À l’inverse, selon des études de validation, le test sur l’analyseur PK permet aussi de détecter des iso-hémagglutinines IgG, bien qu’à un degré de sensibilité moindre que la méthode manuelle de test indirect à l’antiglobuline (TIA). Il s’agit là d’un avantage important du test automatisé sur le système PK par rapport aux méthodes manuelles par centrifugation immédiate.
Le test automatisé offre une meilleure efficacité, uniformité et reproductibilité par rapport aux méthodes manuelles. De nombreux établissements au Canada n’ont pas la capacité d’effectuer des tests des titres d’iso-hémagglutinines. Ce test à grande échelle réalisé par la Société canadienne du sang garantit que tous les établissements puissent offrir des composants abaissant le risque de RHI lorsque des transfusions de plaquettes ou de plasma ABO incompatibles sont nécessaires.
Les composants qui répondent aux critères de faible titre porteront la mention « Low Anti-A/B » (anti-A/B faible) en bas à droite de l’étiquette (voir exemple ci-dessous). Le même texte générique sera utilisé pour tous les groupes sanguins ABO. Pour le groupe O, le donneur devra être négatif pour les titres élevés d’iso-hémagglutinines anti-A1, mais aussi anti-B pour être considéré à faible titre. Comme indiqué précédemment, tous les donneurs contribuant à un composant mélangé (y compris plaquettes non traitées et plaquettes à teneur réduite en agents pathogènes) devront avoir un résultat de faible titre pour que le composant final soit étiqueté comme tel.
L’étiquetage « Low Anti-A/B » sera à la fois lisible en toutes lettres et sous forme d’un code à barres. Seuls les composants à faible titre seront étiquetés. Les composants non étiquetés pourront être dérivés d’un ou de plusieurs donneurs n’ayant pas répondu aux critères de faible titre ou, plus rarement, n’ayant pas fait l’objet de test.
Les composants sanguins suivants pourront être étiquetés comme étant à faible titre :
Le pourcentage de donneurs testés à faible titre est variable selon le groupe sanguin. Au vu des travaux de validation préliminaires, on estime que 60 à 70 % des donneurs du groupe O auront des résultats de faible titre, contre 80 à 90 % des donneurs du groupe A et 85 à 95 % des donneurs du groupe B. On s’attend à retrouver ces chiffres dans la proportion relative de plaquettes d’aphérèse et de plasma du groupe A transfusable étiquetés à faible titre. Cependant, un nombre significativement inférieur de mélanges plaquettaires sera étiqueté comme étant à faible titre, étant donné que tous les donneurs d’un mélange doivent avoir des résultats individuels de faible titre (voir ci-après).
De nombreux facteurs peuvent influer sur les titres d’iso-hémagglutinines d’un donneur, p. ex. : le sexe, l’âge, une infection ou une vaccination récente ou encore la consommation de probiotiques. La Société canadienne du sang continuera de recueillir des données afin d’affiner les estimations relatives à la proportion de donneurs à faible titre pour chaque groupe sanguin.
Oui. Pour les concentrés de plaquettes mélangées non traitées (c’est-à-dire non à teneur réduite en agents pathogènes), il est nécessaire que les quatre donneurs du mélange obtiennent tous un résultat individuel de faible titre. Si un seul donneur du mélange obtient un résultat positif pour les titres d’anti-A1 ou d’anti-B au seuil prédéfini, le composant final ne pourra pas être étiqueté comme étant à faible titre, que le plasma du donneur à haut titre soit utilisé ou non pour créer les couches leucoplaquettaires mélangées. Lorsque l’on combine les dons de quatre donneurs dans un mélange plaquettaire, le composant final peut avoir de faibles titres, même s’il n’est pas étiqueté comme tel. Pour en savoir plus sur les plaquettes mélangées non traitées, voir le chapitre 2 du Guide de la pratique transfusionnelle.
Pour les plaquettes à teneur réduite en agents pathogènes, la probabilité que le composant final ait un étiquetage de faible titre avec la stratégie de test actuelle sera encore plus réduite, dans la mesure où ces mélanges sont fabriqués à partir de sept donneurs. Ces derniers doivent tous obtenir un résultat de faible titre pour que le composant mélangé final soit considéré à faible titre. La stratégie optimale de test des donneurs pour les plaquettes à teneur réduite en agents pathogènes fait actuellement l’objet de recherches (voir la question 16).
Oui, bien que cela dépende des besoins de chaque hôpital. Les hôpitaux qui ont besoin d’une quantité d’unités plaquettaires portant la mention de faible titre plus importante que ce que la Société canadienne du sang peut leur fournir peuvent continuer d’effectuer des tests de routine de détection des titres élevés d’iso-hémagglutinines sur les composants plaquettaires mélangés. Comme indiqué à la question 7, les plaquettes mélangées peuvent avoir de faibles titres sans pour autant être étiquetées comme tel. Les hôpitaux peuvent identifier ces unités en testant le composant final.
Si l’on se base sur les résultats des tests du donneur, on estime que 15 à 20 % des mélanges plaquettaires non traités seront étiquetés comme étant à faible titre. En revanche, avec le test réalisé sur le composant final, jusqu’à 80 % peuvent obtenir des résultats de faible titre, en fonction de la méthode utilisée. Cette différence au niveau de la stratégie de test (test du donneur vs test du composant mélangé final) est précisée ci-après. La mise en œuvre du test de détection des titres élevés d’iso-hémagglutinines à la Société canadienne du sang permettra de recueillir des données plus précises quant à la disponibilité relative des composants étiquetés à faible titre.
Le test des composants plutôt que des donneurs aurait des répercussions négatives sur l’efficacité de la fabrication et pourrait retarder la distribution des composants plaquettaires et plasmatiques. Le test des donneurs au moment du test du typage ABO et Rh peut être effectué efficacement et s’appuie sur un procédé et une stratégie d’automatisation qui ont déjà été déployés avec succès par d’autres fournisseurs de sang.
En fonction des capacités de test des titres d’iso-hémagglutinines disponibles sur place, de la fréquence des besoins en matière de transfusion de plaquettes ABO incompatibles et des caractéristiques des patients locaux, chaque établissement devra déterminer comment intégrer de manière optimale les plaquettes étiquetées à faible titre au sein des stratégies existantes de gestion des stocks. Pour les hôpitaux qui utilisent un modèle de distribution en étoile, des études préliminaires de modélisation menées à la Société canadienne du sang suggèrent que la réorientation des plaquettes étiquetées à faible titre vers des hôpitaux de plus petite taille disposant d’un stock de plaquettes limité et de faibles capacités locales de détermination des titres pourrait contribuer à réduire les taux de composants détruits.4
Pour les hôpitaux ayant actuellement pour politique d’utiliser du plasma du groupe A transfusable en tant que plasma universel d’urgence (par exemple dans le contexte de traumas ou d’hémorragies massives lorsqu’on ne connaît pas le groupe sanguin du patient), le plasma du groupe A étiqueté à faible titre après avoir été analysé peut représenter une option plus sûre dans la mesure où il atténue davantage le risque de RHI. Selon les travaux préliminaires de validation, 80 à 90 % des donneurs du groupe A obtiennent des résultats de faible titre. Les hôpitaux pourraient souhaiter mettre la priorité à l’interne sur les stocks de plasma du groupe A à faible titre à des fins d’utilisation dans ce contexte.
Non, à l’heure actuelle, les hôpitaux NE peuvent PAS commander spécifiquement des plaquettes ou du plasma du groupe A à faible titre. Les mélanges plaquettaires, les plaquettes d’aphérèse et le plasma du groupe A continueront d’être distribués sur la base du « premier entré, premier sorti » afin d’aider à maintenir les stocks nationaux et d’éviter le gaspillage des composants. Il est peu probable que la disponibilité du plasma du groupe A à faible titre connaisse des limitations étant donné sa longue durée de conservation et la proportion relativement supérieure attendue pour ce composant. À l’inverse, on estime que seuls 15 à 20 % des mélanges plaquettaires non traités seront étiquetés comme étant à faible titre, avec des variations possibles de ce pourcentage au fil du temps.
La surveillance en continu de la demande et de la disponibilité des composants pourrait guider d’éventuels futurs changements dans les pratiques de commande.
Le test des titres d’iso-hémagglutinines du donneur est une stratégie d’atténuation des risques. Le composant plaquettaire ou plasmatique optimal pour une transfusion est un composant ABO identique. Néanmoins, quand on doit recourir à des plaquettes ou du plasma ABO incompatibles, un composant étiqueté comme étant à faible titre est plus sûr qu’un composant non testé ou non étiqueté.
Les receveurs avec un faible volume sanguin (transfusion intra-utérine, néonatale ou pédiatrique) et ceux recevant un large volume cumulé de plasma incompatible transfusé au fil du temps peuvent présenter un risque accru de complication hémolytique malgré l’utilisation de composants étiquetés à faible titre. Ce risque est davantage amplifié dans le cadre de plaquettes d’aphérèse (par exemple, plaquettes d’aphérèse HLA et HPA spécifiques) qui contiennent du plasma ABO incompatible issu d’un seul donneur. D’autres facteurs liés au receveur ainsi que les caractéristiques biologiques des anticorps (en dehors du titrage relatif) peuvent également influer sur le risque d’événements indésirables hémolytiques aigus.
Si l’on suspecte une RHI due à l’utilisation de composants étiquetés « Low Anti-A/B », il convient de le signaler à la Société canadienne du sang en suivant les procédures locales de déclaration d’une réaction transfusionnelle (voir le guide de déclaration des réactions transfusionnelles indésirables).
Les concentrés plaquettaires de donneurs du même groupe ABO que le patient sont le meilleur choix pour une transfusion.
Même si le rétablissement des plaquettes peut être réduit dans le cadre de transfusions avec incompatibilité ABO (c’est-à-dire que le plasma du receveur contient des iso-hémagglutinines contre les antigènes A et/ou B exprimés à la surface des plaquettes), cela n’est généralement pas significatif sur le plan clinique. L’aspect le plus important à prendre en compte concernant l’incompatibilité ABO dans le cadre de composants plaquettaires est le transfert passif d’iso-hémagglutinines du donneur qui peuvent présenter une incompatibilité ABO avec les globules rouges du receveur et ainsi provoquer éventuellement une RHI.
Comme indiqué précédemment, le risque le plus élevé est observé chez les jeunes enfants ou nouveau-nés qui reçoivent des concentrés plaquettaires d’aphérèse qui peuvent contenir un large volume de plasma ABO incompatible provenant d’un seul donneur et chez les personnes recevant plusieurs transfusions de plaquettes ABO incompatibles.
Il est préférable d’utiliser des plaquettes du groupe A pour des patients du groupe B (et vice-versa) plutôt que du groupe O en cas d’indisponibilité de composants ABO identiques.
Concrètement, la sélection du composant plaquettaire optimal pour tout patient dépendra du stock disponible. Le tableau suivant (tableau 1) peut servir de guide pour la prise de décision.
Table 1 : Choix du composant plaquettaire optimal pour la transfusion, en fonction du groupe sanguin et des faibles titres d’iso-hémagglutinines
Groupe du receveur | 1er choix | 2e choix | 3e choix | 4e choix | 5e choix |
---|---|---|---|---|---|
A | A | AB* | B (low titre) | O (low titre) | B>O |
B | B | AB* | A (low titre) | O (low titre) | A>O |
AB | AB | A (low titre) | B (low titre) | O (low titre) | A>B>O |
O | O | B | A | AB* | / |
*Les plaquettes du groupe AB (offre très limitée) doivent être utilisées en priorité pour la population pédiatrique. La prudence est de rigueur lors de l’utilisation de plaquettes ABO incompatibles à faible titre pour les transfusions intra-utérines, chez des enfants et des nouveau-nés et chez des receveurs de tous âges qui reçoivent une série de transfusions plaquettaires ABO incompatibles. |
Pour les plaquettes mélangées à teneur réduite en agents pathogènes, chacun des sept donneurs contribuant au mélange doit démontrer un faible titre d’iso-hémagglutinines pour que le produit final soit étiqueté comme tel. La solution additive pour plaquettes (PAS) est partie intégrante du nouveau procédé de fabrication des plaquettes à teneur réduite en agents pathogènes à la Société canadienne du sang. L’utilisation de PAS permet de réduire les taux d’iso-hémagglutinines dans le produit final du fait du retrait d’environ 60 % du plasma.5 Néanmoins, des rapports préliminaires d’autres fournisseurs de sang suggèrent que le test de détection des titres élevés reste justifié. Des travaux sont en cours afin de déterminer la stratégie optimale de test des titres d’iso-hémagglutinines chez les donneurs pour les plaquettes à teneur réduite en agents pathogènes. Pour en savoir plus sur le procédé de fabrication des plaquettes à teneur réduite en agents pathogènes, vous pouvez consulter le chapitre 19 du Guide de la pratique transfusionnelle, y compris la FAQ – Information destinée aux professionnels de la santé concernant les plaquettes à teneur réduite en agents pathogènes