Auteurs : Youness Elkhalidy, MD, et Gwen Clarke, MD, FRCPC
Date de publication : octobre 2020
Public cible principal : technologues de laboratoires médicaux hospitaliers et médecins spécialisés en médecine transfusionnelle

L’objet du présent document est de définir la pertinence des sous-groupes du système ABO pour le personnel des banques de sang en milieu hospitalier qui doit choisir l’unité de culot globulaire à transfuser pour tel patient, ainsi que de souligner l’importance de la collaboration avec la Société canadienne du sang durant la recherche de donneurs potentiels d’un sous-groupe en particulier.

Notions fondamentales

  • Le système de groupes sanguins ABO comporte des sous-groupes dans lesquels on dénote une faible expression des antigènes A ou B sur les hématies.
  • Les différences en quantité ou en qualité entre les sous-groupes ABO peuvent causer des irrégularités ou des anomalies observables au cours du groupage ABO.
  • Durant les analyses de compatibilité ABO d’une unité de culot globulaire au sein de la banque de sang d’un hôpital, une faible réaction peut révéler la présence d’un sous-groupe ABO.
  • Toute réaction faible observée par le personnel de la banque de sang doit être confirmée auprès de la Société canadienne du sang. Si les analyses ordinaires de la Société canadienne du sang ont antérieurement révélé un sous-groupe chez le donneur, l’unité de culot globulaire peut être transfusée sans danger conformément à ce qui est indiqué sur l’étiquette. Dans le cas contraire, l’unité ne doit pas être distribuée.

En quoi consistent les sous-groupes ABO?

Les antigènes des groupes sanguins A et B sont formés à partir d’enzymes qui modifient les glycoprotéines se trouvant sur la surface des globules rouges. La glycoprotéine précurseur des antigènes A et B est connue sous le nom de substance H. À l’instar d’autres systèmes de groupe sanguin, le système ABO comprend des variantes phénotypiques attribuables à la génétique. Le terme « sous-groupe » désigne les phénotypes dans lesquels se manifestent des variations dans la structure ou le nombre d’antigènes A et B, elles-mêmes étant associées à des variations parmi les enzymes qui les produisent. Les sous-groupes A et B peuvent entraîner l’un ou l’autre des phénomènes suivants :

  1. Diminution du nombre d’antigènes A et B à structure typique.
  2. Production d’antigènes A et B légèrement modifiés dont le nombre est susceptible de se trouver diminué.

En général, les sous-groupes A sont beaucoup plus communs que les sous-groupes B. Bien que plusieurs sous-groupes A aient été décrits, le sous-groupe A2 est le plus communément reconnu. Certains sujets de sous-groupe A peuvent développer des anticorps contre les antigènes A courants (aussi appelé « antigène A1 ») en raison de différences quantitatives (c.‑à‑d. que le sujet produit très peu d’antigènes A) ou qualitatives (c.‑à‑d. qu’un sous-groupe de phénotypes se distingue du phénotype A1 en raison de l’expression de glycolipides antigéniques).1, 2

Comment les sous-groupes ABO influencent-ils les analyses de compatibilité?

Les sous-groupes ABO peuvent causer des irrégularités et des anomalies observables durant le groupage ABO d’une unité de culot globulaire. Par exemple, un sous-groupe caractérisé par une expression atténuée de l’antigène A, tel que le sous-groupe A2, peut déclencher une réaction directe plus faible lors du groupage. D’autres variants sont susceptibles de produire des images de double population, comme c’est le cas dans les sous-groupes A3 et B3. Une faible proportion de sous-groupes est susceptible de manifester des anomalies entre le groupage direct et le groupage inverse avec un groupage inverse inattendu, tel un anticorps anti-A1 chez un sujet de groupe A2.

Cependant, il convient de mentionner que bon nombre de facteurs autres que les sous-groupes ABO peuvent également avoir une incidence sur les tests sérologiques, à savoir des problèmes d’interprétation et des anomalies liées au système ABO. Par exemple, il se peut que certaines pathologies modifient l’expression des antigènes ABO ou réduisent la production naturelle d’anticorps ABO. De plus, il existe des médicaments, des anticorps passifs et des anticorps froids susceptibles d’interférer dans le processus d’analyse. Par conséquent, il est important d’envisager tout facteur pouvant fausser les résultats d’un test sérologique pour garantir la justesse du groupage ABO des unités de culot globulaire et la sécurité des transfusions.

Certains sous-groupes ABO et leurs effets sur le groupage direct et inverse sont décrits dans le Tableau 1. Bien qu’ils ne figurent pas dans le tableau, des sous-groupes sont également présents dans les phénotypes AB. Les sujets de groupe sanguin AB associé à un sous-groupe A ou B donneront fréquemment des résultats ABO irréguliers en ce qui a trait au groupage direct et inverse. Parmi les exemples relativement communs, mentionnons un sujet A2B possédant un anti-A1 chez qui le groupe direct présente une réaction tant avec l’anti-A qu’avec l’anti-B, mais chez qui le groupe inverse déclenche une réaction imprévue avec des cellules de dépistage du type A1.


Tableau 1 : Divers sous-groupes ABO et leur incidence sur le phénotypage érythrocytaire (fb = faible, dp = double population)3

 

Phénotype

Groupage direct Groupage inverse
Anti-A

Anti-B

Anti-AB Anti-A1 Anti-H Cellules A1 Cellules A2 Cellules B
A1 (typique) 4+ - 4+ 4+ - - - 4+
A2 3-4+* - 4+ - 2-3+ +/- - 4+
A3 2+/dp - dp/fb - 3-4+ +/- - 4+
Ax fb/- - 1-2+ - 4+ 1+ - 4+
Aend dp/- - dp - 4+ +/- - 4+
Ael - - - - 4+ +/- - 4+
B (typique) - 4+ 4+ - 4+ 4+ 4+ 0
B3 - 2+/dp fb - 4+ 4+ 4+ 0
Bx - fb 2+ - 4+ 4+ 4+ 0
Bel - - - - 4+ 4+ 4+ 0

  L’antigène H (une lectine qui provoque l’agglutination des molécules précurseurs du système ABO) peut servir à évaluer la « force » relative d’un sous-groupe A. L’enzyme A1 normale transforme l’antigène H en antigène A1 de façon si efficace qu’il ne reste plus que des quantités infimes et indétectables de substance H. En ce qui concerne les sous-groupes A, plus le nombre de molécules précurseurs détectables est élevé (donc plus la réaction des antigènes H est intense durant le groupage direct), plus le sous-groupe A est faible; une augmentation de la quantité d’antigènes H indique une inefficacité relative de la conversion des antigènes H en antigènes du sous-groupe A ou, autrement dit, en un phénotype « faible ». Cela ne s’applique pas aux sous-groupes B, étant donné que l’enzyme B normale ne transforme pas les précurseurs H de l’antigène B de façon aussi efficace et laisse habituellement une quantité considérable d’antigènes H intacts. Dans ce type de situation, la présence d’antigènes H n’est pas utile pour dégager le type B normal au sein du sous-groupe B.
 

‡ Dans le cadre des analyses ordinaires des banques de sang, les cellules A1 sont des cellules stéréotypiques dont on se sert la plupart du temps pour le groupage ABO. La présence d’une agglutination de cellules A1 lors du groupage inverse indique qu’un sujet de sous-groupe A est capable de fabriquer des anticorps contre les antigènes A1 normaux.
 

* Bien que le sous-groupe A2 soit considéré comme un sous-groupe A faible, il n’affecte pas le groupage direct la plupart du temps. Il s’agit plutôt du sous-groupe le plus souvent identifié grâce à la présence inattendue de l’antigène A ou de l’antigène A1.

 

Au cours de tout groupage sanguin régulier, la Société examine les réactions faibles ou irrégulières pour résoudre les anomalies et pour garantir l’exactitude des rapports de groupe sanguin ABO. Souvent, les examens en matière de sous-groupes sont effectués à la suite de réactions faibles observées durant le groupage direct. Une réaction faible s’entend d’une agglutination de <2+ provoquée soit par la méthode en phase solide, soit par des méthodes manuelles. Dans le cadre de la préparation d’échantillons ordinaires, les réactions faibles (« fb » dans le Tableau 1) sont intensifiées à l’aide de la modification de la concentration cellulaire, la prolongation du temps d’incubation ou l’abaissement de la température d’incubation. Les lectines propres aux antigènes A1 servent également à constater la présence ou l’absence de l’antigène A1. On présume que les cellules sans antigène A1 renferment un sous-groupe A. Les réactions de double population peuvent également contribuer à l’identification d’un sous-groupe A3 ou B3 (voir le tableau 1). Dans certains cas, des analyses approfondies dans un laboratoire de référence sont nécessaires, notamment des techniques d’adsorption et d’élution, l’immunophénotypage par cytométrie en flux pour dénombrer les antigènes ou le séquençage des gènes ABO.

Les donneurs chez qui on a détecté un groupe sanguin A2, A3 ou B3 recevront des unités A ou B en fonction du sous-type, des analyses sérologiques et de la présence ou l’absence d’anticorps contre les antigènes A1. Si une unité de culot globulaire contenant un sous-groupe ABO se voit attribuer un groupage A ou B, on peut l’utiliser en toute sécurité conformément à ce qui est indiqué sur l’étiquette (p. ex., comme toute autre unité des groupes A et B). Si les réactions faibles ou irrégulières ne peuvent être expliquées, ou si un sous-groupe ABO incompatible avec le sujet de la transfusion est identifié, le sang donné sera exclu.

Comment les banques de sang des hôpitaux peuvent-elles déterminer si un donneur a fait l’objet d’une évaluation pour savoir quel est son sous-groupe ABO?

Conformément à la norme « CSA Z902-20 »4 du Groupe CSA, les banques de sang des hôpitaux doivent procéder à la confirmation de groupage direct des unités de culot globulaire reçues par la Société canadienne du sang, afin de permettre la distribution d’unités par crossmatch électronique. Si une réaction faible (moins de 2+) est observée durant les analyses de confirmation ABO, l’unité pourrait contenir un sous-groupe ABO.

Dans ces cas, il faut joindre les services de distribution de la Société canadienne du sang pour vérifier si un sous-groupe a été identifié et examiné par les services d’analyse des dons de cette dernière durant les procédures normales de groupage. Un spécialiste technique de la Société consulte alors l’historique du donneur et peut ensuite confirmer si un sous-groupe a déjà été identifié ou non.

Si les dossiers de la Société canadienne du sang révèlent qu’un sous-type a été identifié, on peut en conclure que la réaction faible observée au cours des analyses de confirmation était prévisible en fonction du sous-groupe AB; l’unité peut ensuite être utilisée sans danger en fonction du groupe ABO indiqué sur l’étiquette finale (p. ex., une unité A3 peut être transfusée chez un sujet de groupe A). Cependant, si l’historique demeure introuvable, un code sera ajouté au dossier du donneur pour qu’une analyse manuelle soit réalisée lors du prochain don aux fins de détection d’un sous-groupe ABO potentiel ou d’une autre interférence. Si une réaction faible imprévue a lieu durant les épreuves de confirmation (c.-à-d. si le sous-groupe n’a pas été identifié au préalable par la Société), l’unité ne doit pas être distribuée. Il pourrait s’avérer nécessaire de remplir un Formulaire de commentaires – Clients hospitaliers et de retourner l’unité à la Société canadienne du sang. Dans une telle situation, il est recommandé d’en discuter avec un médecin spécialisé en médecine transfusionnelle.

 

Image

Scénario : gestion d’une unité de sang d’un sous-groupe ABO potentiel par les banques de sang des hôpitaux

Ressources complémentaires

Pour vous familiariser avec l’immuno-hématologie et les tests de compatibilité des banques de sang, consultez LearnSerology.ca, une ressource éducative en ligne conçue par des spécialistes canadiens de la médecine transfusionnelle. Le programme compte six modules, en plus d’un outil interactif qui permet d’effectuer une recherche d’anticorps à l’aide d’un panel d’échantillons.

Bibliographie

1.    SVENSSON, Lola, Lennart RYDBERG, Luiz Carlos DE MATTOS et Stephen M. HENRY. « Blood group A1 and A2 revisited: an immunochemical analysis », Vox Sanguinis, vol. 96, no 1, janvier 2009, p. 56-61, [En ligne]. [https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/j.1423-0410.2008.01112.x]
2.    DANIELS, Geoff. Human Blood Groups, 3e éd., West Sussex, Royaume-Uni, Wiley-Blackwell, 2013, 554 p.
3.    THAKRAL Beenu, Karan SALUJA, Meenu BAJPAI, Ratti Ram SHARMA et Neelam MARWAHA N. « Importance of Weak ABO Subgroups », Lab Medicine, vol. 36, no 1, janvier 2005; p. 32-34, [En ligne]. [https://doi.org/10.1309/X59TAAYPEPCNBLUJ]
4.    GROUPE CSA. Sang et produits sanguins labiles. Toronto, Groupe CSA, 2020, Published in Canada by CSA, 2020, 166 p. (CAN/CSA Z902:20).